La citée sous les paupières
La cité sous les paupières
Le vent soulève un nuage de poussière ocre, danse un instant entre les pieds des passants, puis disparaît sous les roues d’un taxi qui file. Pékin, en perpétuel mouvement, déploie ses contrastes avec une brutalité fascinante : les néons clignotent sur les façades de verre tandis qu’au détour d’une ruelle, une silhouette immobile semble suspendue hors du temps.
Il est assis là, un vieil homme aux paupières plissées par l’âge et par l’éclat des enseignes. Il ne bouge pas, comme un témoin oublié d’une autre époque. Ses mains, posées sur ses genoux, tracent une cartographie invisible de la ville, celle d’avant, celle qui palpite encore sous le béton.
Le photographe ajuste son cadre. Il cherche quelque chose, sans savoir quoi exactement. Peut-être un signe, un fil à tirer entre ce qui persiste et ce qui s’efface. Derrière l’homme, une fresque délavée représente un dragon dont les écailles se dissolvent dans la lumière du soir.
Les rues étroites s’ouvrent sur des avenues démesurées. Ici, une femme en robe de soie passe devant une boutique de luxe, son reflet se superposant à une vitrine où trône un écran dernier cri. Plus loin, des enfants courent en riant sous l’ombre d’un bâtiment centenaire, leurs cris ricochant entre les murs comme un écho d’une époque que personne ne nomme plus.
Il avance, l’appareil en bandoulière, comme on traverse un rêve. Pékin ne cesse de jouer avec lui, de lui souffler des images où tout se mélange. Une vieille porte en bois massif, rongée par le temps, se dresse au milieu d’un chantier en pleine expansion. Un moine passe en trottinette. Un écran géant diffuse une publicité pour un parfum tandis qu’une marchande de fleurs empile des bouquets de pivoines rouges, comme un hommage involontaire à un passé impalpable.
Le photographe se retourne. Le banc est vide. L’homme n’est plus là. Était-il une illusion ? Un gardien de la mémoire des lieux ?
Il baisse les yeux vers son appareil. L’image est là. Silencieuse. Immobile. Figée entre deux mondes.